Fil de vie venu du froid.

Le froid ne faisait que s'intensifier en Norfendre en ce début d'hiver. La neige bloquait les principaux axes, et le brouillard pesant empêchait de nombreux navigateurs de prendre la mer. Les flocons formaient une danse incessante et magique, virevoltant dans l'air. Ils avaient déjà envahi le paysage, le sublimant sous un voile de lumière. Mais ce qu'Evelyn préférait par-dessus tout, c'était le silence glacial qui régnait sur le domaine. Aucune nouvelle de la maison-mère de l'entreprise, aucune commande spécifique à honorer, même ses petits citoyens modèles lui rapportant des nouvelles occasionnelles de la capitale étaient devenus plus avares en informations.

Elle longea la table, frôlant de l'index le plan du Marché Hivernal à venir, avant de s'approcher des grandes fenêtres. Elle admira le magnifique décor qui s'offrait à elle, profitant de la quiétude du moment.

Quiétude bientôt dérangée par Ariane, la servante. Cette dernière se prit les pieds dans un lourd tapis et renversa un plateau contenant une théière pleine et un service en porcelaine sur le sol.

"- Oh pardon... Je suis tellement... Confuse, Dame Evelyn, enfin... Dame Allen..."

Cette dernière n'esquissa pas un geste, ses iris bleutées toujours tournées vers l’extérieur.

"- Sais-tu pourquoi nous vivons reclus ici Ariane ?"

"- Non, Madame."

"- Parce qu'ici, nous sommes protégés de toutes les menaces qui peuvent peser habituellement sur les gens normaux, comme ceux vivant à Hurlevent. Pas de politique, pas de Gardes, pas de meurtriers, pas d'assassins. Et jusqu’à il y a peu, pas de voleurs..."

Le regard d'azur d'Evelyn prit une teinte plus électrique, et Ariane occupée à ramasser les morceaux de tasses tranchants s'arrêta net. Seul le feu crépitait tandis que la servante posait ses mains sur son cou, ne pouvant émettre le cri qui lui enserrait la gorge. Et ni la chaleur de l'âtre, ni les bougies non loin n'arrivaient à évacuer la terrible sensation de froid qui la maintenait, frissonnante, prostrée au sol.

"- Ne crois pas que j'ignore qui tu es. Ni qui t'envoie. Lui murmura Evelyn qui s'était agenouillée près d'elle et qui lui caressait une mèche de cheveux bruns avec délicatesse, Tu as été aperçue en train de prendre les plans de divers projets et inventions en cours de conception. Et je ne supporterai pas que ces choses tombent dans d'autres mains.

La domestique étouffait, simplement capable d'expirer une fine brume comme si elle se trouvait à l’extérieur, où une tempête de neige commençait à se lever. La peau de son cou tournait au bleu violacé.

"- Si tu en as la force, tu peux essayer de fuir dès maintenant. Le froid s'occupera de toi avant que je n'envoie quelqu'un pour le faire. L'hurleventoise en toi sait que tu n'as aucune chance là dehors."

Evelyn rit. Elle se redressa, s'approchant de la porte. Elle revêtit un lourd manteau, veillant à ne pas froisser sa robe carmin, et enfila une paire de gants en cuir de la même couleur.

"- Ou bien, considère que tu en as terminé avec ton passé, et reste sagement à ta place."

Les yeux d'Ariane se voilèrent, et elle ne put qu'esquisser un geste implorant de la main.

"- Je prends ça pour un aveu de soumission."

L'emprise glacée sur sa gorge disparut aussi vite qu'elle était apparue, et Ariane se traîna près du feu, tremblante, avant de se recroqueviller sur elle-même.

"- Veille à changer les draps de notre invité dans la chambre d'amis. Un homme de loi comme lui se doit d'être reçu avec les honneurs après l'éreintant voyage qu'il a fait pour nous rencontrer. Et range moi tout ce chaos au plus vite."

La domestique n'ajouta pas un mot, bien incapable de parler, et laissa le silence s'installer tandis qu'Evelyn Allen fit claquer la lourde porte d'entrée en sortant. Commençant à peine à ressentir la chaleur du feu, Ariane put voir entre les braises rougeoyantes des restes de parchemin qu'elle reconnut instantanément. Les plans qu'elle avait essayé de dérober la veille.